Анна Ахматова «Северные элегии» (шестая) на французском языке
Читает Михаил Ефремов
Северные элегии (шестая)
Он слаще всех жар сердца утолит.
Пушкин
Есть три эпохи у воспоминаний.
И первая-как бы вчерашний день.
Душа под сводом их благословенным,
И тело в их блаженствует тени.
Еще не замер смех, струятся слезы,
Пятно чернил не стерто со стола —
И, как печать на сердце, поцелуй,
Единственный, прощальный, незабвенный…
Но это продолжается недолго…
Уже не свод над головой, а где-то
В глухом предместье дом уединенный,
Где холодно зимой, а летом жарко,
Где есть паук и пыль на всем лежит,
Где истлевают пламенные письма,
Исподтишка меняются портреты,
Куда как на могилу ходят люди,
А возвратившись, моют руки мылом,
И стряхивают беглую слезинку
С усталых век — и тяжело вздыхают…
Но тикают часы, весна сменяет
Одна другую, розовеет небо,
Меняются названья городов,
И нет уже свидетелей событий,
И не с кем плакать, не с кем вспоминать.
И медленно от нас уходят тени,
Которых мы уже не призываем,
Возврат которых был бы страшен нам.
И, раз проснувшись, видим, что забыли
Мы даже путь в тот дом уединенный,
И, задыхаясь от стыда и гнева,
Бежим туда, но (как во сне бывает)
Там все другое: люди, вещи, стены,
И нас никто не знает — мы чужие.
Мы не туда попали… Боже мой!
И вот когда горчайшее приходит:
Мы сознаем, что не могли б вместить
То прошлое в границы нашей жизни,
И нам оно почти что так же чуждо,
Как нашему соседу по квартире,
Что тех, кто умер, мы бы не узнали,
А те, с кем нам разлуку Бог послал,
Прекрасно обошлись без нас — и даже
Всё к лучшему…
5 февраля 1945
Фонтанный Дом
Анна Ахматова (1889-1966)
Quatrième élégie du Nord
Trois époques ont les souvenirs.
Comme hier est la première époque.
Sous leurs voûtes bienheureuses est l’âme
Comme l’ombre est douce pour le corps.
Résonne encore le rire, coulent les larmes,
Sur la table la tache d’encre est toujours là,
Comme un sceau sur le cœur repose le baiser,
Unique et inoubliable est le baiser d’adieu
Mais cela ne dure guère…
Déjà la voûte n’est plus au-dessus de nous.
Une maison isolée quelque part en banlieue
Si froide l’hiver, si chaude l’été,
Avec une araignée et partout de la poussière,
Où les lettres d’amour jaunissent et s’abîment,
Où en catimini les portraits changent :
Là, les gens vont comme sur une tombe,
Puis, de retour chez eux, ils se lavent les mains,
Et ils effacent une larme au bord des paupières
Lourdes, et longuement soupirent.
Mais passe le temps, se suivent les printemps,
Rosit le ciel, des villes le nom change,
Et les témoins là ne sont plus. Personne
Pour partager pleurs et souvenirs.
Et lentement disparaissent les ombres
Celles que nous n’invoquons plus,
Car leur retour serait pour nous effroi.
Un matin, au réveil, nous comprenons
Que même le chemin vers la maison isolée
Nous l’avons oublié,
Et, suffoquant, de honte et de colère,
Nous y courons, mais comme dans un rêve
Tout diffère là-bas : les hommes, les objets,
Les murs, nous sommes devenus des étrangers.
Nous nous sommes trompés… Mon Dieu !
Et comme est alors grande l’amertume : ce passé
N’a plus sa place dans le cadre de notre vie :
Il nous est indifférent comme à notre voisin de palier.
Les morts, nous ne pourrions les reconnaître,
Et ceux que Dieu n’a pas voulu nous garder
Se sont même fort bien passés de nous.
Tout est pour le mieux…
( 5 février 1945, Leningrad. )
Anna Akhmatova,
traduction Serge Venturini publiée dans Eclats I (1977-1999), chez L’Harmattan, en l’an 2000
Les élégies du Nord
La quatrième élégie
Nos souvenirs connaissent trois périodes.
Dans la première, tout est comme hier,
l’âme se plaît sous leurs voûtes bénies,
le corps se plaît dans leur ombre propice
le rire vit encore, les larmes coulent,
la tache d’encre est encore sur la table —
et ce baiser comme un sceau sur le cœur,
unique inoubliable, baiser d’adieu…
Mais cette période n’est pas très longue.
Au lieu de voûtes bénies, une maison
solitaire dans un lointain faubourg,
où il fait froid l’hiver et chaud l’été,
où la poussière et l’araignée s’étalent,
où les lettres brûlantes en cendres tombent
et les portraits s’altèrent en cachette.
On y va comme on va sur les tombes,
en rentrant on se lave les mains,
en essuyant une larme fugace
des yeux lassés, avec un lourd soupir…
Mais l’horloge tictaque, les printemps
se suivent sans répit, le ciel rosit ;
le nom des villes eux-mêmes changent, et
s’en vont les témoins des événements.
Qui va pleurer, qui va se souvenir
et lentement nous abandonnent les ombres
que nous n’appelons plus, dont le retour
nous aurait même été effrayant.
Soudain éveillés, nous constatons que nous avons oublié jusqu’au chemin
de cette maison. Étouffant de honte,
nous y courons, mais (comme dans tous les rêves)
tout a changé : êtres, choses, murs —
Nous sommes étrangers. On nous ignore ;
Ailleurs, nous sommes ailleurs… seigneur Dieu !
Puis vient le plus terrible : nous voyons
que nous ne pourrions mettre ce passé
dans notre vie présente, et qu’il est
devenu aussi étranger pour nous
que pour notre voisin de palier ; que
nous ne saurions reconnaître nos morts
et que ceux dont le sort nous sépara
s’en accommodent parfaitement. Et même
que tout est pour le mieux…
Anna Akhmatova,
traduction de Jacques Burko
(anthologie parue en 1997 dans la défunte collection Orphée de Claude Michel Cluny)
Однако порядок стихотворений не зафиксирован однозначно, несмотря на биографическую последовательность сюжета, их объединяющего.
Отказ от непрерывности или строго хронологического принципа — основная стилистическая особенность воспоминаний А. Ахматовой.
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