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Арсений Тарковский «Жизнь, жизнь» на французском языке

Арсений Тарковский
ЖИЗНЬ, ЖИЗНЬ.  Арсений Тарковский

Жизнь, жизнь

I

Предчувствиям не верю и примет
Я не боюсь. Ни клеветы, ни яда
Я не бегу. На свете смерти нет.
Бессмертны все. Бессмертно все. Не надо
Бояться смерти ни в семнадцать лет,
Ни в семьдесят. Есть только явь и свет,
Ни тьмы, ни смерти нет на этом свете.
Мы все уже на берегу морском,
И я из тех, кто выбирает сети,
Когда идет бессмертье косяком.

II

Живите в доме — и не рухнет дом.
Я вызову любое из столетий,
Войду в него и дом построю в нем.
Вот почему со мною ваши дети
И жены ваши за одним столом —
А стол один и прадеду и внуку:
Грядущее свершается сейчас,
И если я приподнимаю руку,
Все пять лучей останутся у вас.
Я каждый день минувшего, как крепью,
Ключицами своими подпирал,
Измерил время землемерной цепью
И сквозь него прошел, как сквозь Урал.

III

Я век себе по росту подбирал.
Мы шли на юг, держали пыль над степью;
Бурьян чадил; кузнечик баловал,
Подковы трогал усом, и пророчил,
И гибелью грозил мне, как монах.
Судьбу свою к седлу я приторочил;
Я и сейчас, в грядущих временах,
Как мальчик, привстаю на стременах.

Мне моего бессмертия довольно,
Чтоб кровь моя из века в век текла.
За верный угол ровного тепла
Я жизнью заплатил бы своевольно,
Когда б ее летучая игла
Меня, как нить, по свету не вела.

1965
Арсений Тарковский (1907-1989)

Vie, vie

1.

Je ne crois pas aux augures
Et je n’ai pas peur des signes.
Je ne fuis ni l’enfer ni la calomnie.
Il n’y a pas de mort sur terre.
Tous sont immortels. Et tout.
Il ne faut pas avoir peur de la mort,
Ni adolescent, ni vieillard.
Il n’y a que le réel et la lumière
Ni ténèbres ni mort, non, sur cette terre.
Nous sommes déjà tous sur le rivage,
Et je suis de ceux qui ramènent le filet
Quand l’immortalité est venue en bancs.

2.

Vivez dans votre maison : qu’elle ne s’effondre pas.
Je mande un siècle, quel qu’il soit,
J’entrerai en lui pour y bâtir ma demeure.
Voilà pourquoi vos enfants avec moi
Et vos femmes sont à une même table, –
C’est celle de l’aïeul et du petit-fils :
Le futur aujourd’hui s’accomplit ;
Et si je lève la main,
Ce sont cinq rayons pour vous.
Je travaille au soutènement chaque jour,
Mes épaules ont été à l’ouvrage,
J’ai mesuré le temps avec la chaîne d’arpentage
Et je l’ai traversé comme on traverse l’Oural.

3.

Je composai un siècle à ma taille,
Nous allions au sud, retenant la poussière
Au-dessus de la steppe ;
Les ronces fumaient, le grillon faisait des siennes,
Et grattant de ses moustaches les fers de mon cheval,
Il prophétisait
Et me menaçait de mort comme un moine.
J’attachais mon destin à ma selle ;
Je suis à présent dans les temps à venir
Comme un gamin dressé sur ses étriers.

J’ai assez d’immortalité
Pour que mon sang coule d’un siècle à l’autre ;
Et un bon coin de bonne chaleur,
Je le paierais volontiers de ma vie,
Pourvu que mon aiguille ailée
Ne me conduise comme un fil
Par le monde.

Arséni Tarkovski,
L’Avenir seul, poèmes 1933–1976 ;
traduit du russe par Christian Mouze

La vie, la vie

1

Je ne crois pas aux pressentiments et les présages
Ne m’effraient pas. Je ne fuis ni les calomnies,
ni le poison. La mort n’existe pas sur terre :
Tous sont immortels. Tout est immortel. Il est inutile
D’avoir peur de la mort, ni à dix-sept ans,
Ni à soixante-dix. Il n’y a que réalité et lumière,
Il n’y a ni ténèbres, ni mort dans ce monde.
Nous sommes déjà tous au bord de la mer,
Et je suis de ceux qui tirent les filets
Quand l’immortalité arrive en masse.

2

Vivez à la maison, et la maison ne s’écroulera pas.
J’appellerai n’importe quel siècle,
J’entrerai dedans et j’y construirai ma maison.
Voilà pourquoi vos enfants et vos femmes
Sont assis avec moi autour d’une même table,
Et il y a une seule table pour le bisaïeul et le petit-fils :
L’avenir s’accomplit aujourd’hui,
Et si je lève la main,
Les cinq rayons resteront chez vous.
Chaque jour du passé, comme un étaiement,
Mes clavicules servaient d’appui,
J’ai mesuré le temps avec une chaîne d’arpenteur
Et je suis passé à travers comme à travers l’Oural.

3

Je composais un siècle à ma taille.
Nous allions au sud, retenions la poussière au-dessus de la steppe ;
Les ronces fumaient ; la sauterelle folâtrait,
Touchait les fers à cheval avec sa moustache, et prophétisait,
Et me menaçait de mort, comme un moine.
J’ai attaché mon destin à ma selle ;
Je suis à présent dans des temps futurs,
Comme un garçon, je me dresse sur mes étriers.

Mon immortalité suffit
Pour que mon sang coule de siècle en siècle.
Je paierais volontiers de ma vie
Un bon coin toujours chaud,
Si mon aiguille volante
Ne me menait pas de par le monde comme un fil.

Arséni Tarkovski
Traduir par Fabien Rothey

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