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Saint-John PERSE « Poème à l’étrangère »

Сен-Жон ПерсПроизведение французского поэта и дипломата, лауреата Нобелевской премии по литературе Сен-Жон Перса (1887-1975) «Поэма Чужестранке» на французском и русском языках.

Poème à l’étrangère

«Alien Registration Act»*

I

Les sables ni les chaumes n’enchanteront le pas des siècles à venir, où fut la rue pour vous pavée d’une pierre sans mémoire — ô pierre inexorable et verte plus que n’est
le sang vert des Castilles à votre tempe d’Étrangère !

Une éternité de beau temps pèse aux membranes closes du silence, et la maison de bois qui bouge, à fond d’abîme, sur ses ancres, mûrit un fruit de lampes à midi
pour de plus tièdes couvaisons de souffrances nouvelles.

Mais les tramways à bout d’usure qui s’en furent un soir au tournant de la rue, qui s’en furent sur rails au pays des Atlantes, par les chaussées et par les rampes
et les ronds-points d’Observatoires envahis de sargasses,

par les quartiers d’eaux vives et de Zoos hantés des gens de cirques, par les quartiers de Nègres et d’Asiates aux migrations d’alevins, et par les beaux solstices verts des places rondes comme des atolls,
(là où campait un soir la cavalerie des Fédéraux, ô mille têtes d’hippocampes!)

chantant l’hier, chantant Tailleurs, chantaient le mal à sa naissance, et, sur deux notes d’Oiseau-chat, l’Été boisé des jeunes Capitales infestées de cigales… Or voici bien, à votre porte, laissés pour compte à l’Étrangère,
ces deux rails, ces deux rails — d’où venus? — qui n’ont pas dit leur dernier mot.

«Rue Gît-le-Cœur… Rue Gît-le-Cœur…» chante tout bas l’Alienne sous ses lampes, et ce sont là méprises de sa langue d’Étrangère.

II

«…Non point des larmes — l’aviez-vous cru? — mais ce mal de la vue qui nous vient, à la longue, d’une trop grande fixité du glaive sur toutes braises de ce monde,
« (ô sabre de Strogoff à hauteur de nos cils !)

« Peut-être aussi l’épine, sous la chair, d’une plus jeune ronce au cœur des femmes de ma race; et j’en conviens aussi, l’abus de ces trop longs cigares de veuve jusqu’à l’aube, parmi le peuple de mes lampes,
« dans tout ce bruit de grandes eaux que fait la nuit du Nouveau Monde.

«…Vous qui chantez — c’est votre chant — vous qui chantez tous bannissements au monde, ne me chanterez-vous pas un chant du soir à la mesure de mon mal? un chant de grâce pour mes lampes,
« un chant de grâce pour l’attente, et pour l’aube plus noire au cœur des althaeas ?

« De la violence sur la terre il nous est fait si large mesure… O vous, homme de France, ne ferez-vous pas encore que j’entende, sous l’humaine saison, parmi les cris de martinets et toutes cloches ursulines, monter dans l’or des pailles et dans la poudre de vos Rois
« un rire de lavandières aux ruelles de pierre?

«…Ne dites pas qu’un oiseau chante, et qu’il est, sur mon toit, vêtu de très beau rouge comme Prince d’Église.
Ne dites pas — vous l’avez vu — que l’écureuil est sur la véranda; et l’enfant-aux-journaux, les Sœurs quêteuses et le laitier. Ne dites pas qu’à fond de ciel
« un couple d’aigles, depuis hier, tient la Ville sous le charme de ses grandes manières.

« Car tout cela est-il bien vrai, qui n’a d’histoire ni de sens, qui n’a de trêve ni mesure?…
Oui tout cela qui n’est pas clair, et ne m’est rien, et pèse moins qu’à mes mains nues de femme une clé d’Europe teinte de sang…
Ah! tout cela est-il bien vrai?… (et qu’est-ce encore, sur mon seuil,
« que cet oiseau vert-bronze, d’allure peu catholique, qu’ils appellent Starling?) »

« Rue Gît-le-Cœur… Rue Gît-le-Cœur… » chantent tout bas les cloches en exil, et ce sont là méprises de leur langue d’étrangères.

III

Dieux proches, dieux sanglants, faces peintes et closes! Sous l’orangerie des lampes à midi mûrit l’abîme le plus vaste. Et cependant que le flot monte à vos persiennes closes, l’Été déjà sur son déclin, virant la chaîne de ses ancres,
vire aux grandes roses d’équinoxe comme aux verrières des Absides.

Et c’est déjà le troisième an que le fruit du mûrier fait aux chaussées de votre rue de si belles taches de vin mûr, comme on en voit au cœur des althaeas, comme on en vit aux seins des filles d’Eloa. Et c’est déjà le troisième an qu’à votre porte close,
comme un nid deSi bylles, l’abîme enfante ses merveilles : lucioles !

Dans l’Été vert comme une impasse, dans l’Été vert de si beau vert, quelle aube tierce, ivre créance, ouvre son aile de locuste ? Bientôt les hautes brises de Septembre tiendront conseil aux portes de la ville, sur les savanes d’aviation, et dans un grand avènement d’eaux libres
la Ville encore au fleuve versera toute sa récolte de cigales mortes d’un Été.

…Et toujours il y a ce grand éclat du verre, et tout ce haut suspens. Et toujours il y a ce bruit de grandes eaux. Et parfois c’est Dimanche, et par les tuyauteries des chambres, montant des fosses atlantides, avec ce goût de l’incréé comme une haleine d’outre-monde,
c’est un parfum d’abîme et de néant parmi les moisissures de la terre…

Poème à l’Étrangère! Poème à l’Émigrée!… Chaussée de crêpe ou d’amarante entre vos hautes malles inécloses !
O grande par le cœur et par le cri de votre race !… L’Europe saigne à vos flancs comme la Vierge du Toril.
Vos souliers de bois d’or furent aux vitrines de l’Europe et les sept glaives de vermeil de Votre Dame des Angoisses.

Les cavaleries encore sont aux églises de vos pères, humant l’astre de bronze aux grilles des autels.
Et les hautes lances de Breda montent la garde au pas des portes de famille. Mais plus d’un cœur bien né s’en fut à la canaille. Et il y avait aussi bien à redire à cette enseigne du bonheur, sur vos golfes trop bleus,
comme le palmier d’or au fond des boîtes à cigares.

Dieux proches, dieux fréquents! quelle rose de fer nous forgerez-vous demain? L’Oiseau-moqueur est sur nos pas!
Et cette histoire n’est pas nouvelle que le Vieux Monde essaime à tous les siècles, comme un rouge pollen…
Sur le tambour voilé des lampes à midi, nous mènerons encore plus d’un deuil, chantant l’hier, chantant Tailleurs, chantant le mal à sa naissance
et la splendeur de vivre qui s’exile à perte d’hommes cette année.

Mais ce soir de grand âge et de grande patience, dans l’Été lourd d’opiats et d’obscures laitances, pour délivrer à fond d’abîme le peuple de vos lampes, ayant, homme très seul, pris par ce haut quartier de Fondations d’aveugles, de Réservoirs mis au linceul et de vallons en cage pour les morts, longeant les grilles et les lawns et tous ces beaux jardins à l’italienne
dont les maîtres un soir s’en furent épouvantés d’un parfum de sépulcre,

je m’en vais, ô mémoire! à mon pas d’homme libre, sans horde ni tribu, parmi le chant des sabliers, et, le front nu, lauré d’abeilles de phosphore, au bas du ciel très vaste d’acier vert comme en un fond de mer, sifflant mon peuple de Sibylles, sifflant mon peuple d’incrédules, je flatte encore en songe, de la main, parmi tant d’êtres invisibles,
ma chienne d’Europe qui fut blanche et, plus que moi, poète.

«Rue Gît-le-Cœur… Rue Gît-le-Cœur…» chante tout bas l’Ange à Tobie, et ce sont là méprises de sa lange d’Étranger.

1942, Saint-John PERSE (1887-1975)

Поэма Чужестранке

«Alien Registration Act»*

I

Ни пашни, ни пески не привлекут шаги веков грядущих, что нам улицы мостили булыжником забвения — о камень неподкупный, зеленый, зеленее древней крови Кастилии,
стучащей вам в виски, текущей в ваших венах, Чужестранка!

Погожей вечностью и сушью закладывает уши тишине; Дубовая избушка, на якоре покачиваясь в бездне, как плод вынашивает яблоко зеленой лампы,
вот-вот проклюнутся птенцы страдания.

Но старые трамваи, что однажды в сумерках появятся на повороте улицы, покатят дальше по рельсам сквозь страну Атлантов, по колеям и автотрассам,
по куполам обсерваторий, опутанным саргассами,

и сквозь бурливые кварталы, и по аллеям зоопарков, где балаганы циркачей и акробатов, сквозь черные и желтые кварталы, там, где притоны и мальков затоны; сквозь солнечные площади парадов, что круглы, как атоллы,
(там, где когда-то стояла кавалерия федератов, о армия морских коньков многоголовая!),

вызванивая песню прошлого, вызванивая песню пришлую, песнь горя первенца, песнь скорби птенчика, песнь леса смешанного и на два такта песнь пересмешника, в столице летнего цикад нашествия … И эти рельсы у вашей двери сияют странно, в залог оставленные Чужестранке,
ах, эти рельсы — откуда тянутся — ах, эти рельсы еще не молвили своего слова последнего.

«Улица Жи-лё-Кёр … Улица Вечная Скорбь …» — напевает Изгнанница, сидя под лампой, и ее выговор выдает Чужестранку.

II

« … Не слезы, вовсе нет, — ужели вы поверили? — но резь в глазах от блеска сотен лезвий, от жара клинков, калимых
во всех горнах мира,
(о сабля Строгова1 перед глазами!)

« да, может быть, еще заноза, терновый свежий шип зеленый, вонзившийся под кожу, вошедший в сердце женщин моей расы; а также горечь сигар, которыми, я знаю, слишком долго дымлю я до рассвета в доме вдовьем перед толпою ламп многоголовой,
под громоподобный шум вод и ветра, что наполняет ночи в Новом Свете.

« … А вы, что воспевали, — ведь это ваша песня — вы, что воспели все изгнанье и все изгойство , вы воспоете ли мои печали и мое горе? сложите нынче вечером песнь моей скорби в лад, песнь колыбельную для моих ламп,
песнь ожидания и утешения, песнь черных зорь на чашечках алтея?

« Насилья на земле мы видели довольно… О Франции мужи, верните мне при жизни тот небосвод, где кружатся стрижи, тот купол синий, где песнь малиновок и коло­кольни урсулинок, и где над золотой соломой яслей и над прахом королей версальских
от дома к дому звенит смех прачек по немощеным улочкам невзрачным …

«…Не говорите мне о малом птенце, что свищет у меня на крыше, о птахе в алом одеянье кардинала. Не говорите мне, не надо, о белке на веранде — вы ее видели, — ни о мальчишках разносчиках газет-журналов, ни о молочниках, ни о монашках из Армии Спасения. Не говорите мне о том, что в поднебесье
чета орлов вторые сутки круги рисует, чарует город своей повадкой гордой.

« Ужель все это правда, ужель все это явь без смысла и без связи, без цели и порядка?.. История, где все неясно и невнятно, что на моей ладони невесомей, чем ключ Европы в кровавых пятнах?.. (И что с того, что на моем пороге свои псалмы поет, как еретичка
зелено-бронзовая птица, ее здесь называют Starling**?)

«Улица Жи-лё-Кёр … Улица вечная Скорбь» — колокола изгнанья вызванивают негромко , и в их голосах различим чужеземный говор.

III

Боги близкие, боги кровавые , лики строгие, иконописные! Во влажных теплицах полуденных ламп тьмой наливается бездна. Прилив поднимается к сомкнутым ставням, и лето на ущербе якоря выбирает,
отплывает к розам равноденствия, подобным апсидам витражным.

Уже третий год сок тутовых ягод пятнает плиты возле порога, так сердцевины алтея темнеют, следы на груди дочерей Элоа2, так пятна старых вин лиловеют. И третий год возле вашей двери, закрытой на все засовы,
как из гнезда Сивиллова бездна выводит свой рой светлячковый.

Летом зеленым, как гладь газона, кричаще изумрудно­ зеленым, что за заря хмельно, исступленно в третий раз расправляет крылья, как саранча? И вот уж скоро высоко­ парные сентябрьские ветры будут держать совет у врат города и в саванне летного поля, а после с потоками вод свободных
город исторгнет обратно в реку весь сбор мертвых цикад этого лета.

… И вечно тут этот звон хрустальный, это у двери топтанье, это великих вод бормотанье. И лишь порой днем воскресным по трубам в дома проникает, поднимаясь из атлантических впадин, дыхание того света, сырость вечности,
запах небытия и бездны, земной плесени…

Поэма Чужестранке! Поэма эмигрантке!.. Одетой в креп и травы амарантовые среди высоких сундуков раскрытых. С душой великой, кричащей криком… Европа истекает кровью, как сердце Богородицы перед корридой. Ваши сабо червонные стоят за стеклами в витринах
и рядом семь златых мечей с насечкой, Тоски Прекрасной Даме посвященных.

А ныне конницы стоят в часовнях предков, дыханием колеблют узоров бронзовую вязь, созвездия решеток врат алтарных. И копья Бреды3 стучат о плиты возле тяжелых дверей фамильных. Но столько сгинуло сердец высокородных, что счастье смотрится фальшиво над вашим приторно сияющим заливом,
как золотая пальмовая ветвь на дне пустого ящика сигарного.

Боги близкие, боги будничные, какие железные розы вы нам завтра скуете? Летит пересмешник за нами следом, и не нова легенда о том, что пыль Старого Света на столетья ложится алой пыльце подобно… Под барабанную дробь, под светом полуденных ламп нам еще столько повязывать траурных лент, твердя песню прошлого, твердя песню пришлую, песнь горя птенчика, песнь скорби первенца
и жизни великолепие, что осеняет людские потери нынешним летом.

Но в этот вечер долготерпенья и долголетья, что выпал мне в этом лете, тягучем, как одурь опиата, как сок столетника, чтоб выпустить из мрака толпы ламп, пойду я в кварталы общества слепых мимо сухих фонтанов в саванах, лужаек в гробах оград и итальянских садов,
откуда в ужасе однажды бежит садовник, почуяв запах тления и склепа,

я ухожу, о память! вольным шагом человека свободного, без роду-племени под песнь песков, и мой открытый лоб венчает пчела сияющая, я ухожу, под низким небом серо­-стальным зеленоватым, как дно морское, ищу-свищу по белу свету я свой народ Сивилл, народ сорвиголов, и во сне я глажу мою собаку белую,
ту, что была скорей, чем я, поэтом.

«Улица Жи-лё-Кёр … Улица Великая Скорбь»… — поет ангел Товии, и его выговор ясно выдает Чужестранца.

1942,Вашингтон
Сен-Жон Перс,
Перевод Н. Стрижевской

* Закон о регистрации иностранцев, действовавший в США.
** Скворец (англ.)
1 Строгов — Михаил Строгов, герой романа Жюля Верна.
2 Элоа — поэма Альфреда де Виньи «Элоа».
3 Бреда — rород в Нидерландах, в тексте речь идет о картине Веласкеса «Сдача Бреды».

 

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