Мы живем, под собою не чуя страны…
Расстрельное стихотворение Осипа Мандельштама на русском и французском языках. Когда он прочитал его Борису Пастернаку, тот сказал: «То, что вы мне прочли, не имеет никакого отношения к литературе, поэзии. Это не литературный факт, но акт самоубийства, который я не одобряю и в котором не хочу принимать участия. Вы мне ничего не читали, я ничего не слышал, и прошу вас не читать их никому другому» Но он читал…
* * *
Мы живем, под собою не чуя страны,
Наши речи за десять шагов не слышны,
А где хватит на полразговорца,
Там припомнят кремлёвского горца.
Его толстые пальцы, как черви, жирны,
А слова, как пудовые гири, верны,
Тараканьи смеются усища,
И сияют его голенища.
А вокруг него сброд тонкошеих вождей,
Он играет услугами полулюдей.
Кто свистит, кто мяучит, кто хнычет,
Он один лишь бабачит и тычет,
Как подкову, кует за указом указ:
Кому в пах, кому в лоб, кому в бровь, кому в глаз.
Что ни казнь у него — то малина
И широкая грудь осетина.
Ноябрь 1933
Осип Мандельштам (1891-1938)
* * *
<épigramme contre Staline>
Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
À dix pas nos paroles se sont évanouies,
Et si quelques mots quand même se forment,
C’est le montagnard du Kremlin qu’ils nomment.
Ses doigts, comme des vers, sont très gras et épais,
Et ses mots de cent pouds ne vous ratent jamais,
Ses moustaches de cafard semblent rire,
Et brillent ses bottes de tout leur cuir.
Autour de lui, un tas de chefs minces de cou,
Les sous-hommes zélés dont il joue et se joue.
Tel siffle, tel miaule, geint ou ronchonne,
Lui seul frappe du poing, tutoie et tonne,
En forgeant, tels des fers à cheval, ses décrets —
En plein front et dans l’œil, au ventre, où ça lui plaît !
Toute mise à mort lui est une fête,
Et de bomber sa poitrine d’Ossète.
Novembre 1933
Ossip Mandelstam
Traduit par Henri Abril
Distiques sur Staline
Nous vivons sans sentir sous nos pieds de pays,
Et l’on ne parle plus que dans un chuchotis,
Si jamais l’on rencontre l’ombre d’un bavard
On parle du Kremlin et du fier montagnard,
Il a les doigts épais et gras comme des vers
Et des mots d’un quintal précis: ce sont des fers!
Quand sa moustache rit, on dirait des cafards,
Ses grosses bottes sont pareilles à des phares.
Les chefs grouillent autour de lui, la nuque frêle.
Lui, parmi ces nabots, se joue de tant de zèle.
L’un siffle, un autre miaule, un autre encore geint…
Lui seul pointe l’index, lui seul tape du poing.
Il forge des chaînes, décret après décret!
Dans les yeux, dans le front, le ventre et le portrait.
De tout supplice sa lippe se régale.
Le Géorgien a le torse martial.
Novembre 1933
Traduit par François Kérel, extrait de Tristia et autres poèmes, d’Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds,Ossip Mandelstam, Poésie/Gallimard, 1982
Le Montagnard du Kremlin
Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds,
À dix pas personne ne discerne nos paroles.
On entend seulement le montagnard du Kremlin,
Le bourreau et l’assassin de moujiks.
Ses doigts sont gras comme des vers,
Des mots de plomb tombent de ses lèvres.
Sa moustache de cafard nargue,
Et la peau de ses bottes luit.
Autour, une cohue de chefs aux cous de poulet,
Les sous-hommes zélés dont il joue.
Ils hennissent, miaulent, gémissent,
Lui seul tempête et désigne.
Comme des fers à cheval, il forge ses décrets,
Qu’il jette à la tête, à l’œil, à l’aine.
Chaque mise à mort est une fête,
Et vaste est l’appétit de l’Ossète.
Ossip Mandelstam
Traduit par inconnu auteur
Самый цитируемый перевод стихотворения Мандельштама на французском языке. Буду признательно, если кто-то из моих читателей сообщит мне автора перевода.
Lu par Gilles-Claude Thériault
Épigramme contre Staline
Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.
Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.
Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.
Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.
L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.
Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.
Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète.
Ossip Mandelstam
Traduction : Élisabeth Mouradian et Serge Venturini
Ossip Mandelsman parle de Staline. Il lui coûtera d’être arrêté et condamné à la relégation. Il mourra quatre ans plus tard dans un camp de transit vers la Kolyma.
Исполнитель — Станислав Коренблит
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